vendredi 9 août 2013

Variations pour un été : osé hier (MàJ4)

 


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Arrivée dans ce paradis du schiste, le brillant sur chaque parcelle de l'écran, du retour des feuilles de chênes verts aux remblais des routes, et ce matin, ton paysage, la contemplation à ta fenêtre, les à-pics plus forts que soi, la transcendance ; s'il en est Un, il est là.
Ces humains qui vivent à l'année dans la rude vie des maisons d'antan, avec internet et salle de bain cependant, ça fait la différence, parce que le monde s'ouvre doublement, dans la perspective physique comme dans celle virtuelle, le monde est un hameau.
Ravitaillés par les corneilles. Elle dit vrai, composer avec le lacet, le lacet qui rend tout tellement loin, les vallées qu'il faut enfiler les unes derrière les autres et sans doute par temps dur l'hiver.
T'enfonçant dans ces sinuosités, cette impression d'une nuit sans fin, superposition de la nuit de la veille, c'était d'abord le sombre où tu aimes te perdre, comme te perdre ces derniers temps, cette jachère en toi que tu acceptes enfin, mais n'en sais pas le bord, où le ne pas aller trop, et l'obstination de soi, en toi depuis. Puis tu as eu peur, hein, avoue, tu t'es perdue, tu as eu peur, tu as tenté des raccourcis, tu as eu peur, échoués, tu as eu peur, tu as tenté un autre paysage, tu as eu peur, peur d'un virage en épingle mal négocié, peur d'un écart pour éviter un sanglier, peur de verser dans ces failles de la montagne, peur de ne pas savoir sortir d'une carcasse. Peur. Connu ce sentiment sur un voilier, aux îles Scilly, quand les vagues de cinq mètre donnent cette sensation que le bateau sombre, pour ne plus remonter.






Ici, quand on oublie quelque chose, faut renoncer. Radicalité d'un choix, qui va avec création, méditation et slow life. La vie dans ce rythme lent, qui t'attrape sitôt arrivée, et le miracle, c'est qu'il y a place pour une civilisation ici, les amis autour, le travail, un lieu de trois maisons, pris en passant pour un hameau abandonné, mais c'est un centre, une activité à temps plein, occuper le pays, le construire, lui donner ses facilities, et fondations passent par là et ventes artisanales et cybercafé et plus tard centre de formation.

Le vert, la montagne, foundamente, et puis les configurations du ciel, une étoile filante, on se sent l'âme mystique dans ces Marches de la Lozère. Et pourtant ce n'est qu'un pays d'hommes et de femmes.
  
 
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La suite du chemin, c'était. Ce bar, en bord de village, où tu es entrée boire un café, le couple, la femme qui te souligne toi seule si tard sur la route, et toi peur encore, peur de sa peur à elle, puis cet homme à la tête aveyronnaise, qui ne parle pas qui écoute, te laisse raconter un peu, comprendre ce qui te met là, puis annonce l'arbre et puis l'arbre qui vont jalonner ton, comme ça tout à trac, un GPS vivant, un qui parlerait homme. Et tu remontes plus courageuse, la voie lactée là-haut.
Le soir, tous ces gens, les néos, venus là dans les soixante-dix, le soir, dans cette maison-hameau, labyrinthe à six portes d'entrée, douze escaliers ou petites marches, toilettes sèches, sept poubelles (et liste des surnuméraires), le petit bureau avec la baratte à usage lutrin, le grand bureau et la bibliothèque qui en fait le tour, l'écrire-produire en tous genres, palais borgésien, si on est là, c'est qu'on a tous choisi d'y vivre.
 
Et les guitares ne manquent pas. Celle qu'il te passe, une folk, Alhambra, ça existe ça en folk ?, et là sonne comme une Gibson, souvenir de ta vieille cassée par le chat des voisins, son velouté, ce toucher doux et profond, et sonore si sonore, une chapelle romane à se perdre, les Espagnols ont profité d'une série pour Gibson, ont copié et la copie aussi belle que l'original. Ta G., achetée à Londres avant de repartir, passé tout ton salaire de job d'été pour petits friqués en goguette, logeant chez, dans le Kent, souvenir d'un loup noir et d'une veste d'astrakan.




J'ai vu pousser un arbre dans un mur et pousser la pierre dans l'arbre.

Dans le jardin, les récits s'enchâssent. Les trois chorales, une pour chansons révolutionnaires, une chorale d'hiver, une autre encore, un théâtre, quelques vers d'un poète. Et puis cette histoire que le vrai souci des abeilles, ce n'est pas principalement le pesticide, mais le varroa, ce pou des ruches qui tue les ouvrières et que les reines d'ici ne savent pas trucider, contrairement à celles d'Asie, -Asie, d'où le nuisible est venu dans les années quatre-vingt, suite à une mission d'apiculteurs cévenols dans les pays là-bas, se vantant de leur savoir faire, qui en ont rapporté le fléau-, qui détruit plus fort que le toxique américain. Ce que ne disent pas les apiculteurs, car ils devraient alors dire leur indélicatesse à traiter eux-mêmes leurs essaims aux produits tueurs. Et le bon miel alors n'est que, la femme aux ruches dit qu'elle traite aux produits doux.

Et puis cette affaire plus étrange de la fécondation des figues, le Blastophaga, la femelle qui niche dans la figue, et que le mâle vient forcer au travers du fruit, le et la fécondant dans le même mouvement. Et le secret du jus de pomme de l'hôtesse, cinq pour cent de jus de coings. Et la courgette jaune parfumée au citron confit, quelque chose du Yuzu. Quand les histoires de filtre, comment la terre, comment les conteneurs à tamis, comment l'eau fait le tour de la matière, de la source au robinet et retour à l'arrosage. Ces petites sciences au labeur, penser local, local, local, mais réfléchir global, global, global.

 
 

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Et puis la creuse, plonge dans le sillage, ce sera Maison des Vents. 

Et là, on n'en dit rien, que poésie qui vient.


Et cette branche du figuier prolonge le vent, le précédant de tout son élan.
Un viatique déposé dans une conversation, que Claude Simon a écrit et longtemps vécu là, courir chercher l'eau pure dans les non-rizières qui font signe,

et puis le soir cours sur la spiruline.
 
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Retour au Pays des îles, et là acclimatée, sortilège des noms de Pays, se mettre à écrire.
Et vient le couloir des damnés, deux fois aller là, tous alignés dans la salle de canicule, Plan C. du Préfet, aller dans le désir le voir, l'avé, le vieux, Léo, celui qui parle, rit, dans l'aphasie de production, si le geste d'un jour avait dit le contraire, aujourd'hui, le trois était bien un trois, geste regard et parole, le serpent cognitif, ça monte et ça descend, mais qu'est-ce qu'ils attendent pour l'orthophon, les budgets sans doute, toujours aussi dandy d'une main et d'une jambe, dans son parler de peut-être il peut, le toucher, le caresser, manger avec lui, et voir l'institution dans ses petites misères, pour la 2002-2, oublie, et lui de se marrer, gardé son quant-à-lui, dans l'hémi pas blêmi.

Et la vieille Augusta muette et sourde peut-être, son regard de sorcière, sa barbe de trois jours et ses coups de colère, ne passe rien à l'imbécillution, toute à l'affaire de sa boucle d'oreille, couleur corail aujourd'hui, et ceux qui gardent, veillent, signalent "pas mixé s'il vous plaît", et "demander le choix pour le café", c'est pas toujours pareil, l'aphasique aime varier, alors ne pas calquer les jours sur les jours, sortie d'enfer mais y retournera.



Et quand y retourne, le soleil brille, jazz pour tous, et voir Léo fredonner The Girl from Ipanema, et ça n'a pas de prix.
 
 

Et l'oiseau qui s'obstine à s'appeler rossignol du soir au matin,
quand ce n'est peut-être qu'un merle. Qui verra.
 


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A l'heure où hurlent les chiens, le clandestin théâtre est arrivé dans la clairière aux soucoupes flottantes. D'entrée, le grand Camus, un mythe de Sisyphe, planter le décor de l'homme harnaché à son rocher, ce sera Histoires de Pierres ce soir, et nous rencontrons les écrivains de la roche, Pierre Coste, Marc Dombre, puis dans la Suite Cévenole André Chamson.






Nous débusquons les mots de la façon ou plutôt ce sont eux qui nous débusquent par l'enchantement d'une litanie, les mains fatiguées, les murs à pierres sèches -murailles de soutènement, calades tapies de pierres posées sur chant, fondations de gros blocs, les semelles, choisir pour chaque pierre l'assise du socle rocheux lorsqu'il affleure, ira en enchevêtrement transversal, de temps en temps la fourrure qui calfeutre et éclats de calage, le jointoiement jamais trop large, vérifier le pendage intérieur ou extérieur, savoir comment résister à la pente, les boutisses pour terminer la clé horizontale -, et tous ces mots du faire, la voix narrative de ce maçon, Marc Dombre, une poésie sonore, ou de Jean Yves Royer, qui fait dans sa nouvelle "Jean des pierres", une ode à une vie minuscule, nouvelle poétique en technidolor. Il les entend les sons de ces cailloux, -ils le réveillent la nuit-, "un bon mur est un mur qui sonne bien", et chaque stone sait dire si on l'a déportée, seul Jean sait faire chanter les murs.




Les lecteurs  en répons, Cyril Djalmit et Mathieu Grenier du Théâtre Clandestin, savent effacer les traces pour apporter les textes, puis Sébastien Potrich glisse sur le piano à bretelles les mélopées de la pierre, comme une maladie qui fait pleurer.
 
 
Le soir, dans la pénombre, s'échangent les paroles, le bout de brebis sur un coin de pain, le vin et la soirée finit en accordéon, en passant, Le petit bal perdu de Bourvil, et tous ses changements de ton.
Le vert, la montagne, foundamente, les sombres histoires de villages, les rires d'amis, le pou et la figue,  la fuite et la ligne claire, le vieux et puis le jeune, générations mélange, les mots de la peine et de la joie sur la pierre,  un petit bal perdu qu'on fredonne tous ensemble, et puis les configurations du ciel, une étoile filante, on se sent l'âme mystique dans ces Marches de la Lozère. Et pourtant ce n'est qu'un pays d'hommes et de femmes.





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Bien entendu parler du pont de C. Une révolution. 
Chasser les ponts en kit qu'on pose en deux secondes et que le moindre torrent d'hiver fait verser. C'est qu'ils n'ont avec leurs ancêtres, les vieux ponts de pierre, qu'une lointaine parenté, c'est le pont du X-pont, qui ajuste au moderne, fait dans le prêt-à-poser et même le prêt-à-penser, vite fait bien fait à deux jets. Même si j'en ai connu des X-pont, plus conscients, c'est même le lieu que j'ai préféré, l'Equipement, quand ils sont biens, sont biens.

Ces ponts qui résistent bien au-delà des années, il fallait se saisir de l'opportunité, chercher à les imiter, puisque ceux-là persistent. Alors le pont de C., une expérience sous microscope, trois ou quatre ans pour reconstituer la méthode, comprendre les coups de main, l'orientation vis-à-vis de la pente, la hauteur, s'abstraire des apparences, en père de famille savoir qu'on investit davantage, mais pour le long terme, un pont du collectif, un pont commun, comme on verse chacun aux titres de la SCIC, pas de ces mécènes qui bluffent pensant donner leur nom au moindre chèque vite fait, ici pas de pont de pacotille, du qui-ressemble, mais le pont concret, veut de ceux-là  toute la durabilité d'antan, le pont revisited, comme une visite à l'Antique qu'on fait pour son bien, un hommage. L'ancien le mérite, sans fausse nostalgie, mais d'actualité donc.

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Question d'orage en météo, la veille on débranche, le matin on constate, pas d'ondulateur, les deux ordinateurs resteront muets, on repousse les fils d'électrique crainte. Ô rage, ô désespoir, ô leurres infinis, pas un orage, mais des orages, une défilé d'orages comme à la parade, qui gère le paysage, tiens un coup par ici, tiens un coup par là, va faire un tour ailleurs, dans la vallée voisine, à peine que tu espères qu'il revient d'un éclair te dire "je t'ai vue tenter de rebrancher", on se rue plus maligne défaire le noeud gordien, le trancher, rien à grignoter ici, de guerre lasse, on abandonne le jeu pervers, on tente de le prendre en flagrant délit, on mitraille en vain, puis on s'assied, on sait qu'on en aura pour la journée, ponctuation des pluies, on se plonge par dépit dans l'Eugenides qui reluque depuis des mois sur le bord du lit, ce lit-là ou un autre il reluque toujours, on y croit moyen, pourtant ça part pas mal, laissé en chemin, préférer la tablette, sur l'iphone le fatidique Réseau indisponible, rien à communiquer, bref on laisse tomber et petit carnet noir d'inscrire les poésies qu'on publie là comme ça.
L'artiste a installé la machine à vapeur blanche, qui recouvre à présent l'écran de sa neige.
Et en bande-son le tambourinement de grosse caisse,
donnant à la scène comme une arrière-salle invisible.
Un solo grésillant irrupte dans la vrille d'une seconde, à quoi échevelées les bass répondent.
Puis le son s'amenuise, on l'entend au loin provisoire.
La ballade balade et vient cinq fois, dix fois, vingt fois,
au moment où je dis, c'est déjà dépassé,
faire son refrain d'enfer, éclat de nerf ou quoi ?
Les doigts de Pierrot sur le piano vert vont et viennent en sourdine.
Accueille ton orage en sarabande, bande-passante, et prends ton écho en patience.
 
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J'oserai, j'oserai dire que parfois l'encre est une maladie, un champignon hâbleur qui s'incruste comme le coucou qui veut sans vouloir, coupe la sève, prend l'énergie, l'encre du châtaignier ici est une tare, elle menace les coopératives à production chestnut en salé ou dessert, menace les hommes donc et ces femmes, qui tentent de vivre au pays, chiche, mais quand-même, peuvent pâtir de cette encre-là toutes les vallées qui mangent de cette économie. Et la tare se voit, la tache sur le vert, c'est le séché de la feuille, la mort de l'arbre, et derrière, tous les arbres. De vert deviendrait d'ocre, l'océan, frustration de ces gens qui redoutent, si on le laissait faire.
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Et puis mangé chez C. repas végétarien. La vallée des deux côtés, cette sente étroite où à gauche comme à droite s'imposent les horizons, puis la descente d'une terrasse à l'autre, heures de bataille, l'immensité du territoire qu'on regagne sur la friche. Et sculptée dans l'arbre foudroyé, la statue d'Île de Pâques. 
Sur cette terre hospitalière, les invitations toutes conviviales, ne sont que longues tables mises sous la toile, arabesques de plats, assiette complète à la manœuvre ce soir, moisson des légumes du jardin, ce petit poivron iranien bercé à lents baisers, et le goût du sarrasin dans les crêpes.
Dans l'auto, je parlerai de la danse des autos dans les sous-bois plus tard, lui, qui drive côté droit, aime les américains, plutôt du côté du bûcher, ne connais pas William Gass toutefois, Au cœur du cœur de ce pays, recommandé, et elle, qui n'aime que les russes, Tolstoï, Dostoïevski et bien sûr, Nabokov, son favori. "Mon âme était saisie d'une sensation de polychromie, de liberté et de sublimité divines : je savais que j'étais au paradis".
 
Ressemble à W., l'appeler là tout de suite, l'amie de Magog, photo de nous, canoë sur la trace des beavers, et ce petit kiosque octogonal, pointe à panorama sur le lac, la joie dans l'accent, yeux et lunettes aussi.
Le vert, la montagne, foundamente, les sombres histoires de villages , les rires d'amis, le pou et la figue,  la fuite et la ligne claire, le vieux et puis le jeune, générations mélange, les mots de la peine et de la joie sur la pierre,  un petit bal perdu, qu'on fredonne tous ensemble, un pont à prochainement fêter, gestion patrimoniale, l'encre, celle qu'on déteste quand stérilise l'avenir, sourire de l'au-delà, et puis les configurations du ciel, une étoile filante, on se sent l'âme mystique dans ces Marches de la Lozère. Et pourtant ce n'est qu'un pays d'hommes et de femmes.
  



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